vendredi 30 novembre 2012

Atelier du 22 novembre 2012

Voici la tentative d’écriture faite à l'atelier au sujet d'un changement de vie, à la façon de Thomas Bernard dans ‘la cave’ …



Tu t’appelais Laurent Dutais. Tu avais la bonne quarantaine, pas trop grand, pas trop petit, pas trop moche, pas trop beau : tu étais Le quadra passe partout.
Tu travaillais à la poste comme facteur auxiliaire, car ils n’embauchaient plus de fonctionnaire. Tu avais un petit salaire, de petites vacances, une petite voiture, un petit appartement et une très grosse épouse.
Elle se nommait Claire, Claire Dutais née Franchon, quarante ans tout rond !
Elle n’avait pas pu avoir d’enfant, elle était au chômage et passablement dépressive.

Tu avais des amis qui venaient jouer aux cartes à la maison et assister invariablement à ta mise au pilori par Claire. Soit tu étais trop lent à lui répondre, soit tu avais oublié d’acheter le vin au Monoprix ou encore tu avais trop fait trop cuire les nouilles …. Et toi, tu souriais bêtement, tu essayais d’être conciliant. Tu aurais voulu te faire tout petit pendant que tes collègues te regardaient avec pitié.
Une fois qu’ils étaient partis, tu faisais le ménage et tu allais te coucher auprès de ta Claire, reconnaissant d’avoir pu les recevoir. Puis, comme toujours, elle allait refuser tes avances.

Le matin du 24 décembre tu préparais le réveillon quand ton bureau avait appelé. Le titulaire d’une tournée était absent et tu devais interrompre ton congé pour le remplacer.
Evidemment tu fus au travail dans l’heure et pendant que ton chef discutait avec la petite stagiaire tu suais sang et eau à ouvrir les lourds sacs de courriers, seul.
Tu ne connaissais pas la tournée et tu perdais énormément de temps à trier les cartes de voeux, les lettres, les recommandés, les publicités et les journaux en fonction de l’itinéraire que tu imaginais pouvoir suivre.







Les heures passaient mais tu n’y arrivais pas, tu t’enlisais… et ton chef, du haut de sa bienveillance qui te rappelait qu’aujourd’hui le bureau fermerait à 16h ! Il promis pourtant de venir t’aider après sa pause.
Au fil de tes erreurs et de tes hésitations dans ton travail, le découragement te gagna, tu te sentais acculé, piégé par ta bonne volonté, victime de toi-même. L’opprobre allais s’abattre sur toi si tu échouais ... et ton chef qui ne venait pas.

Panique et désespoir silencieux.

Il était midi passé, tu étais seul dans la salle de trie à couper le courrier par quartier, personne ne t’avait secouru. La sueur au front tu entendais sans cesse les rires et les éclats de voix provenant de la salle de pause, comme autant d’accusations et d’humiliations.

Alors qu’ils se décidaient à partir pour manger au self, qu’ils t’abandonnaient, tu ressenti la colère monter et enfler comme une vague qui finalement allait emporter toutes les digues de tes interdits et de tes peurs.
D’un pas décidé tu marchas sur la caféteria et tu te postas devant le chef qui tentait une sortie. La larme à l’oeil tu lui expliquas que tu n’y arrivais pas, que tu avais besoin d’aide. Mais il riait, il riait de toi. “Je viendrai t’aider après la pause” répéta-t-il.

Et toi tu tremblais, tes yeux étaient humides, une boule de rage et de détresse dans la gorge étouffaient ta voix presque pleurnicharde :
“J’en ai marre ! je m’en vais ! J’ai été gentil, je suis venu pendant mes vacances mais vous, vous n’avez pas tenu votre promesse, vous ne m’avez pas aidé ! Je démissionne ! Je rentre chez moi ! Débrouillez vous pour la tournée ! Je m’ barre ! Au revoir !”
         
Le chef, loin d’essayer de te comprendre, voulait briller devant la jeune stagiaire et il t’ordonna de retourner au travail en te menaçant de sanctions ... mais tu lui avais ri au nez et claqué la porte, fort d’une nouvelle assurance que ton audace venait de libérer.

Dehors, dégrisé par l’air frais de l’hivers, tu avais pris toute la mesure de ton comportement.
Que faire maintenant ? Comment allait réagir Claire ?

La tension retombait et tu étais perdu, épuisé, à bout de nerf... Tu monta dans ta petite voiture et tu alla voir tes parents dans leur pavillon de banlieue.
Ils t’accueillirent à bras ouverts; tu ne venais pas souvent, avec ta femme c’était difficile. Après les paroles d’usages tu leur avais avoué ce que tu venais de commettre. Ils furent catastrophés, ce ne pouvait être qu’un coup de déprime ou bien le surmenage. Ils te proposèrent d’appeler leur médecin de famille qui te ferait une lettre pour ton chef et te donnerait un arrêt maladie afin que tu te remettes. Ils allaient tout arranger, il fallait que tu te reposes.
Pour les rassurer tu avais accepté leur aide et tu acceptais aussi de repasser les voir après les fêtes pour rencontrer le bon docteur.
Pourtant cette situation ne te convenait pas. Quelque chose s’était réveillé. Tu n’avais pas parcouru tout ce chemin pour faire demi-tour maintenant … mais les habitudes avaient été tenaces et tu avais cédé encore une fois.






De retour chez toi en fin d’après midi, tu avais trouvé Claire couché dans le lit devant la télé. Les couvertures froissées étaient parsemés des reliefs de plusieurs repas. Elle ne tourna même pas la tête a ton arrivée, toute absorbée par un jeux TV où des concurrents tentaient leur chance à la roue de la fortune.
Tu rassemblas ton courage et tu la dérangeas pour lui raconter ta journée, lui expliquer ce qui t’était arrivé et prendre une décision ensemble sur la conduite à tenir.
Mais elle ne t’avait pas compris, elle fustigea ton inconscience, incrimina ta faiblesse de caractère : tu n’étais pas un homme, tu avais charge d’âme et tu te laissais aller à la paresse. Elle continuait de déverser son torrent de paroles blessantes mais tu ne l’écoutais plus, égaré dans une tristesse et une solitude écrasantes.

Mécaniquement, courbé sous la pluie d’invectives, tu lui avais préparé son repas de Noel et apporté le plateau dans le lit où elle était restée à regarder son émission.
Au menu il y avait une escalope de dinde bio, Picard , 2 minutes au micro-onde, avec une purée de marron Picard aussi, 3 minutes au micro-onde, le tout était accompagné d’un verre de mousseux d’un cru inconnu.

Elle s’était assise sur le lit, avait calé son dos avec un oreiller et tu avais déposé le plateau délicatement sur ses grosses cuisses molles.
Elle t’avait toisé de tout son mépris et tu lui trancha la gorge calmement.
Tu l’avais soutenu un peu, le temps de quelques spasmes, puis tranquillement tu avais décollé sa tête au couteau.

Tu étais couvert du sang chaud de Claire, les rires enregistrés de la télévision envahissaient le 2 pièces cuisines et tu étais calme, très calme.
Puis tu avais pris quelques affaires dans un sac de sport et tu étais sorti.

Dehors il faisait nuit et des flocons de neige tourbillonnaient doucement dans les halos blafards de la cité dortoir. Aux fenêtres éclairés des tours , tu devinais les familles joyeuses, dans les lueurs multicolores des guirlandes électriques célébrant la nativité.  

Toi aussi ce soir tu étais né.