Voici ma participation à un concours de nouvelles dont le sujet était : derrière la porte ...
La
vie cent portes.
Coup
d'œil à ma montre 9h49.
On
est mardi 19 décembre 2012, la veille de la fin du monde Maya au
commissariat de Nanterre.
Je
patiente dans une petite salle d’attente mal éclairée, assis sur
un bancs fixés au sol, face à la porte du bureau du commissaire. Je
suis venu pour la disparition de ma femme et ça fait un bon moment
que je suis là, devant cette porte, à attendre qu’elle s’ouvre.
Déjà la semaine dernière j’avais du patienter longtemps pour le
signalement, sans parler du planton 'unidigiste' qui épelait ma
déposition sur son clavier. Aujourd'hui, mon rendez-vous avec le
commissaire semble prendre le même long chemin ….
…
Donc
j’attends.
Coup
d'œil à ma montre 9h57.
Le
temps ne passe pas.
Rien à faire, il n'y a
aucun de ces magasines jaunis, aucune de ces affiches naïves
punaisées à la gloire de la police, aucun de ces mauvais tableaux
aux murs. Rien à voir, juste un néon au plafond, un radiateur
électrique, deux fenêtres quasi opaques, quatre bancs vides et la
porte du commissaire .
C’est
une porte comme je n’en ai pas vu beaucoup. On y a collé sur toute
sa surface des miroirs, une mosaïque de carreaux de verre de la
taille d’une main, posés cote à cote. A l’intérieur je
discerne une silhouette ébouriffée, chétive et sombre avec des
yeux trop grands qui me fixent, les miens. Mon reflet me regarde,
emprisonné derrière la grille que dessinent les joints entre les
carreaux du miroir.
J’attends
et je m’ennuie.
Avoir
à faire à la police c'est comme avoir à faire aux docteurs, tu
sais comment tu y arrives mais tu ne sais jamais comment tu vas en
ressortir !
Mais
elle va s’ouvrir cette porte à la fin ?
Re-coup
d'œil à ma montre 10h03.
A
cette heure-ci je devrais être au bureau, chez Alba Assurance. Je
n'ai pas prévenu mon chef de service mais je ne pense pas qu’il
osera me faire de réflexion compte tenu de ma situation. Il n’avait
rien dit à Émilie la semaine dernière quand elle est arrivée en
retard parce qu'elle avait perdu ses clés, alors moi qui ai perdu
ma femme ça devrait passer !
Coup
d'œil à ma montre 10h05.
Pffffffff
….
C’est
vraiment étrange d’avoir mis une porte comme ça dans un
commissariat, avec des miroirs. Je pourrais peut-être utiliser cette
porte dans mon livre… Pour le moment j’écris des nouvelles, que
personne ne publie, mais un jour j’écrirai un livre, mon livre.
Coup
d'œil machinal à ma montre 10h13.
Je
surprends encore une fois ces yeux qui me regardent dans la porte.
C’est
moi ce gars ? J'ai un reflet de névrosé. Il faudrait vraiment que
je me tiennes plus droit et que j'arrête de ronger mes ongles.
J'ai
calculé que je suis ici depuis 53 minutes, à respirer les odeurs
écœurantes de détergents et à entendre la rumeur monotone d'un
secrétariat tout proche, bloqué devant cette porte... 53 minutes !
Une
porte, en fait, c’est comme la couverture d’un livre, sobre ou
illustrée, pléiade ou noire polar, elle m'annonce ce que je vais
trouver en l’ouvrant. Une porte blindée je m’attends à quelque
chose de précieux, une porte de prison à de l’ennuie, une porte
de WC à une histoire de délivrance... Mais comme les couvertures de
bouquin, quelque fois, c’est trompeur. Par exemple au bureau, je
passe une porte capitonnée de cuir brun et je pense trouver mon boss
dans une ambiance feutrée et là, je tombe sur son fils qui jure
comme un charretier parce que je l’ai dérangé pendant sa sieste
matinale.
Il
faut pas toujours croire à ce qu’on veut vendre sur la couverture
d’un bouquin.
Et
puis quelques fois, c’est pas la couverture, c'est l’auteur qui
est mauvais … et souvent, l’auteur c’est moi !
Et
puis cette porte dans laquelle je me vois ... ça veut dire quoi
cette couverture ? Qu’est ce qu’il va y avoir à écrire ou
d’écrit derrière ?
Les
talons d’une femme qui claquent sur le carrelage noir et blanc.
Elle s’assied sur un autre banc près d’une des fenêtres
grillagées.
Coup
d'œil à cette femme, belle brune habillé comme un sac. Elle me
regarde.
Coup
d'œil gêné à ma montre 10h26.
Long
soupir …
En
y réfléchissant je me rends compte que toute ma vie j’ai ouvert
des portes depuis la vulve de ma mère jusqu’à l’entrée dans ce
commissariat, des tonnes de portes sans même y prêter attention.
Plein de portes de tous les formats, des portes d’école, des
portes d'ascenseur, des portes de magasin, des portes de frigo …
partout des portes … et à la longue toutes ces portes m’ont
changé !
Il
y a eu des portes à secrets, comme les portes du placard dans le
couloir de chez mes parents que j’avais ouvertes dans ma jeunesse.
J’y avais trouvé les revues porno de mon père. Une révélation !
C’est d’ailleurs depuis ce temps là que j’adore fouiller un
peu partout.
Des
portes douloureuses comme celle de la voiture de ma mère. Et une
fois les portières de la petite Autobianchi verte refermées c’était
un mélange entre les auto tamponneuses et les wagonnets des
montagnes russes : une aventure toujours mouvementée ...voire même
pénible le jour où elle referma la portière sur mes doigts.
Des
portes malicieuses comme celle des toilettes de la cabane au fond du
jardin de mon grand père qu’un beau jour je n’ai pas pu rouvrir.
Quelle crise de claustrophobie ! Ça m'est resté, je teste toujours
les serrures des toilettes avant de les fermer. En plus il en avait
mis du temps pour venir me secourir, et ça l’avait bien fait
rigoler !
Des
portes magiques comme les portes automatiques de l’aéroport Roissy
Charles De Gaule que je franchissais un matin de mai 2008 pour
découvrir la Chine et, surprise de l’auteur, j'y ai aussi
rencontré celle qui allait devenir mon épouse.
Des
portes tragiques comme les lourdes portes de bois de cette église de
région parisienne. Une fois passées, le texte avait été déclamé
par un prêtre qui en avait l’habitude : un drame religieux où
deux êtres se condamnent et s’enchainent devant un parterre
d’invités; et personne ne bouge pour les aider à ne pas commettre
cette connerie qu’on appelle le mariage.
Quelques
portes miraculeuses aussi. Comme les portes blanches de l’hôpital
où je venais visiter mon père, presqu'aussi sec qu'une feuille en
automne sous les draps des hôpitaux de Paris. J’ai refermé cette
porte sur lui et puis je me suis dit : “Et si c’était la
dernière fois?”. Alors je l’ai ouverte à nouveau et je lui ai
dit de prendre soin de lui et que je l’aimais. Il a sourit. J’ai
refermé la porte rassuré en pensant à prévoir un grand repas pour
son retour à la maison. Ce fut la dernière fois que je le voyais
vivant.
J’en
ai des catalogues de portes que j’ai franchi ! Et j’ai constaté
que c’est souvent au delà des portes les plus anodines que j'ai eu
le plus de surprise... Comme derrière celle de ma chambre il y a
trois semaines. Je revenais de la gare vers 10 heure à cause d’une
'certaine catégorie du personnel’ qui était en grève. Et
poussant cette banale porte peinte en blanc, déjà mille fois
ouvertes, je découvrais Pierre, le voisin, et ma femme qui se
caressaient les seins, il en avait autant qu’elle …
Mais
j’entends que ça bouge dans le bureau.
Coup
d'œil à ma montre 10h51.
Voila
que mon reflet disparait, chassé du miroir par celui de la jeune
femme assise près de la fenêtre. La porte s’est ouverte sur le
commissaire, un homme gris, un peu épais, avec un piètre sourire
accroché sous le nez.
“-
Veuillez entrer monsieur Delaporte.”
Il
s’efface pour me laisser passer. Puis il me tend la main et
m’indique un vieux fauteuil devant son bureau métallique sur
lequel trône un classeur tel un gros livre, mon dossier ?
La
pièce est petite et la lumière qui pénètre par les fenêtres
grillagées, identiques à celles de la salle d’attente, semble
salir les murs jaunâtres. Je prends place et je regarde mes
chaussures qui m’ont porté jusque ici. Je suis mal à l’aise et
je regrette presque mon attente devant la porte à observer mon image
à travers elle.
Pas
de coup d'œil à ma montre.
A
son tour, lentement, dans un soupir, le commissaire s’assied au
bureau et tire le scripte à lui.
Est-ce
que je devrais tout lui dire où bien sait-il déjà tout ?
Peut-être
que derrière une autre porte, celle d'un pénitencier, j’aurais le
temps de l'écrire mon livre ?