Et encore un texte de l'atelier !
Il s'agissait de presenter un personnage confronté à une porte ...
Il fait nuit, il fait froid.
J’ai
sur moi mon uniforme kaki et mon arme de service. J’ai bu ‘un peu’ et
je ne marche plus très droit jusqu’au poste de garde. Mes rangers
crissent sur le gravillon et salissent le silence glaciale qui recouvre
notre caserne tapie au coeur de la forêt vosgienne.
J’ouvre
la lourde porte de la salle de garde, allume le néon du plafond et je m’écroule lourdement sur la chaise réglementaire, derrière un petit
bureau de metal gris. La piéce est dépouillée . Les murs sont peints en
jaune et renvoient une lumiere criarde qui me fait mal au crane … une
vitre blindée y est accrochée comme une immense toile avec son
reverbere dont l’éclairage cru dessine la barriere de la caserne. Tout
est immobile, gelé, dans l’air froid et clair de l’hivers.
Je suis seul, a peine rechauffé par l’alcool.
J’écoute ma respiration lourde.
Je joue avec mon pistolet automatique machinalement.
Mon équipe dort dans la piece d’a coté. J’irai en reveiller un … plus tard...
On est tous de garde, isolé sur notre colline, ce week-end du nouvel an.
Je
fixe cette barriere, si mince, seule relief de mon paysage. Il serait
facile de passer dessous, ou par dessus ...derriere c'est la liberté , le
civil ! Mais en fait ce n’est pas si simple, car cette barriere est
protegée par le reglement, lui-même protegé par des soldats, eux-même
protegés par leurs armes : du coup ça en fait du monde a passer pour
sortir !
Apres
ma ronde j’étais revenue par le mess des officiers et avec le barman
de permanence. On s’en était jeté quelques’uns derriere le col ... toutes
sortes d’alcool ! Et on avait parlé des copains qui ont rejoint leurs
familles ou leurs petites amis, ou bien les deux. Je les imagine
maintenant décomptant les secondes avant la nouvelle année. J’imagine
les bises qu’on échangent, y compris à la tata-monique-qui-pique. Les rires
forcés. les danses molles de fin de soirée. Les nausées avant l’aube.
Je
fixe toujours cette satanée barriere bariolée de rouge et de blanc.
Une simple poutre … Le meilleur moyen se carapater du casernement !
Parce que pour le reste la caserne est fortifiée a l’ancienne avec de
hauts murs de pierre et des douves ! Je suis seul, qu’est ce qui
pourrait physiquement m’empecher de sortir ?
Je
pense à ma femme qui est à la maison … non pas elle ! Elle doit plutot
etre à faire la fête avec des copains ! Et mes parents … Ah le nouvel an
en famille ! Les réveillons tellement longs avec en bruit de fond les
émissions de télé. Les eclats de rire en boite, les videos réchauffés,
les chanteurs sur le retour et les danseuses à peine scandaleuse d’une
revue pour faire saliver papy... La soirée pour looser solitaire !
Je suis seul avec ma barriere et comme Ebenezer Srooge, les fantômes du passée et du présent étaient venus me visiter.
Si
je sortais maintenant ? Le premier village est à quoi ? une bonne heure
de marche ! Je rentrerai dans un bistrot. Je boirai, je jouerai aux cartes ... Puis il y aurait de la musique et des
filles. On danserait … peut-etre même plus ! Et puis au petit matin je me ferai raccompagner ... Qui le saurait ? Juste à prendre mon courage à deux
mains, me lever, passer cette barriere et en avant ! J’aurai de quoi
raconter au mess demain !
Juste a passer cette barriere tellement proche et tellement loin.
Non, je n’abandonnerai pas ma barriere. Je suis son gardien.
A
quoi bon cette soirée dans un bar ? Ici j’ai déja bien bu . Danser avec
des filles ? Je ne sais pas danser et puis pourquoi danseraient-elles
avec moi, un bidasse quelconque ?
Devant
cette barriere je doit l’avouer je me sens a l’abri. Elle me garde
autant que je la garde. Elle est pas epaisse mais elle me protege avec
les reglements, les soldats et leurs armes. Dehors, le civil c’est la
liberté mais la solitude aussi. Ici j’ai mon rôle. On est entre
copain !
Cette barriere je l’aime bien et je me verrai bien signer pour encore quelques années !