Il s'agissait d'ecrire un texte comme le fit Marguerite Duras qui décrivait dans l’amant, une photo symbolique qui ne fut pas prise.
Bon un peu hors sujet mon texte ...
Cette photo je l’ai prise.
Je
l’avais déjà prise 1000 fois avec les caméras de mes yeux. Je savais
que c’était important, il me fallait immortaliser ces instants . Mais je
ne les avais jamais développé, ces images moisissaient sur leur
négatif de cervelle.
L’homme
qui est sur la photo à de nombreuse fois 20 ans et sa peau très pâle
porte un treillis de rides. Sur son crane, une forêt d’argent
perpetuelllement hirsute, chahuté par un vent qu’elle seul perçoit. Ses
pommettes tombantes sous le poids des ans, ont creusé ses joues d’une
fosse qui souligne sa machoire anguleuse . Ses lèvres, un trait sec et
pincé, dissimulent , je le sais , le puit venteux de sa gorge encore
hanté par la vie. Et ses sourcils broussailleux abritent dans des
cavernes profondes des yeux bleus acier que j’ai habité depuis ma
naissance. Car sur cette photo c’est mon père. Il est assis sur sa
bergère de cuir vert sombre. Cette bergère, sa maison dans la maison. Il
y recevait ses invités, il y passait des heures à lire, il y dégustait
ses cafés , il y savourait la vie de famille qui s’écoulait ... il y
dormait aussi … souvent …. surtout vers la fin.
Cette
photo de lui dans son fauteuil je l’avais prise 1000 fois des caméras
de mes yeux, et une fois avec mon appareil photo. C’est la dernière
photo que j’ai de lui, et son dernier jour dans ce fauteuil.
Immobile, il regarde l’objectif pour toujours.
Le
front plissé, il m’observe le prendre en photo. Je devais être joyeux
ce jour là de capturer sa vieillesse corrompu dans ma drôle de boite
électronique. Mais sur son regard lointain se lit le désespoir sans fond
d’une lutte perdue d’avance. Car déjà il gravissait péniblement le col
de l’agonie avant de parcourir l’interminable vallée de la mort. Cette
photographie qui me fixe depuis le passé, est un cadavre. Silencieuse,
elle tourmente ma mémoire de sa décomposition.
Maintenant le fauteuil est vide, la photo n’est plus possible. J’essaye de voir par les yeux du souvenir et du coeur ces 1000 clichés que je n’ai pas photographié mais dont l’ombre est fixé, je l’espère, à jamais en moi … mais je ne suis pas naïf, on ne gagne pas contre la nuit et Chronos dévore toujours ses enfants.