lundi 1 avril 2013

Atelier du 14 mars 2013


Il s'agissait d'ecrire un texte comme le fit Marguerite Duras qui décrivait dans l’amant, une photo symbolique qui ne fut pas prise. 
Bon un peu hors sujet mon texte ...
 

 
Cette photo je l’ai prise.
Je l’avais déjà prise 1000 fois avec les caméras de mes yeux. Je savais que c’était important, il me fallait immortaliser ces instants . Mais je ne les avais jamais développé,  ces images  moisissaient sur leur négatif de cervelle.

L’homme qui est sur la photo à de nombreuse fois 20 ans et sa peau très pâle porte un treillis de rides. Sur son crane, une forêt d’argent perpetuelllement hirsute, chahuté par un vent qu’elle seul perçoit. Ses pommettes tombantes sous le poids des ans, ont creusé ses joues d’une fosse qui souligne sa machoire anguleuse . Ses lèvres, un trait sec et pincé,  dissimulent , je le sais , le puit venteux de sa gorge encore hanté par la vie. Et ses sourcils broussailleux abritent dans des cavernes profondes des yeux bleus acier que j’ai habité depuis ma naissance. Car sur cette photo c’est mon père. Il est assis sur sa bergère de cuir vert sombre. Cette bergère, sa maison dans la maison. Il y recevait ses invités, il y passait des heures à lire, il y dégustait ses cafés , il y savourait la vie de famille qui s’écoulait ... il y dormait aussi … souvent  …. surtout vers la fin.

Cette photo de lui dans son fauteuil je l’avais prise 1000 fois des caméras de mes yeux, et une fois avec mon appareil photo. C’est la dernière photo que j’ai de lui, et son dernier jour dans ce fauteuil.

Immobile, il regarde l’objectif pour toujours.
Le front plissé, il m’observe le prendre en photo. Je devais être joyeux ce jour là de capturer sa vieillesse corrompu dans ma drôle de boite électronique. Mais sur son regard lointain se lit le désespoir sans fond d’une lutte perdue d’avance. Car déjà il gravissait péniblement le col de l’agonie avant de parcourir l’interminable vallée de la mort. Cette photographie qui me fixe depuis le passé, est un cadavre. Silencieuse, elle tourmente ma mémoire de sa décomposition.

Maintenant le fauteuil est vide, la photo n’est plus possible. J’essaye de voir par les yeux du souvenir et du coeur ces 1000 clichés que je n’ai pas photographié mais dont l’ombre est fixé, je l’espère, à jamais en moi … mais je ne suis pas naïf, on ne gagne pas contre la nuit et Chronos dévore toujours ses enfants.